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mercredi 21 février 2018

La Russie hésite encore quant à la virtualisation totale de l'Etat



L'une des caractéristiques de la globalisation est justement d'être ... globale. La Russie, intégrée dans les logiques mondialistes, comme tous les pays aujourd'hui, est confrontée à l'un des enjeux les plus sérieux qui se posent aux Etats postmodernes: comment concilier sécurité nationale et  numérisation dans un monde où le terrorisme est aussi puissant dans le monde virtuel que sur la terre ferme? Pour autant, la numérisation est un dogme de la globalisation et comme il est bien connu, les dogmes, ça ne se discute pas. Heureusement, la Russie discute encore et hésite sérieusement.


Numérisation des services étatiques, de la monnaie, de l'industrie, des écoles, de la médecine ... Les fanatiques du tout-numérique ont le vent en poupe de part le monde. Même en Russie, le vice-président du Comité de la Douma pour l'enseignement propose de créer un nouveau ministère, celui des nouvelles technologies et de la réalité virtuelle. Explications:
"La réalité virtuelle, c'est le nouvel espace des possibilités humaines, qui peut conduire l'enseignement, la science, la médecine, l'industrie et beaucoup d'autres domaines, à un tout autre niveau"
Lorsque l'on sait les ravages des jeux virtuels sur le développement des enfants, les ravages de l'excès de technologies sur la dégradation des capacités intellectuelles des nouvelles générations, l'échec de l'enseignement à distance, les espaces ouverts sont en effet à réfléchir. Entre les inventions du Professeur Tournesol et la nécessité d'une industrie qui produise réellement, de médecins qui soignent, d'avions qui volent, chaque chose est utile lorsqu'elle est à sa place.

Ne pouvant écarter la question du tout-numérique, la Douma a organisé une séance de réflexion et de discussion sur la question de sa réglementation juridique. N'oublions pas que les réglementations juridiques ne sont pas neutres: réglementer, c'est reconnaître l'existence d'un phénomène, peut-être pérenniser ce qui n'est qu'une mode. Avant de savoir comment réglementer, il faut d'abord s'interroger sur la nécessité de réglementer.

Et justement, l'intervention de Herman Klimenko, Conseiller du Président, a quelque peu refroidi les ardeurs. Comme le rappelle Piotr Tolstoï, vice-président de la Douma, ce type de réglementation nécessite une approche mesurée et responsable, qui doit aller dans le sens de l'intérêt de la population et avec son consentement, pour ne pas répéter les erreurs commises lors de la réforme de la médecine ou de l'enseignement. Dans tous les cas, il existe un risque de sécurité nationale qu'il ne faut pas négliger:
"(...) avec la numérisation totale des informations par les écoles, les polycliniques, les hôpitaux, les banques, les sites des organes publics, etc, les droits constitutionnels des citoyens à l'inviolabilité de leur vie privée sont mis en danger. Je ne parle même pas des risques de voir s'attribuer par des tiers ses données personnelles, c'est à la limite du bien et du mal. Mais existe-t-il des garanties que ces bases de données élargies - big data - ne tomberont jamais entre les mains de tierces personnes? "Celui qui maîtrise l'information, maîtrise le monde" (...)"
Et la question n'est pas anodine. Prenons deux exemples récents.

Après le crash de l'avion russe en Syrie et l'acte héroïque de son pilote Roman Filipov (voir notre texte ici), les journalistes du site d'informations Fontanka ont, à leur grande surprise, réussi sans aucune difficulté à avoir accès aux données personnelles du pilote, notamment ses documents financiers. Pourquoi? Parce que chaque membre de l'armée doit avoir son espace personnel pour regrouper ses informations et que, manifestement, il est très simple s'y avoir accès, sans même être un hacker. Au lieu d'en tirer les leçons, le ministère de la Défense s'est insurgé contre les journalistes qui les mettaient en garde du danger. 

La numérisation est-elle à ce point devenue un dogme qu'il ne soit possible de s'interroger sur ses dangers?

Autre exemple des dogmes actuels pouvant entraîner un danger et pour chacun d'entre nous et pour l'Etat en général. La virtualisation et cette ineptie de numériser l'enseignement pour permettre un enseignement à distance (idée fétiche de Greff et de Koudrine), devant soi-disant donner accès à chacun aux meilleures leçons - ça c'est la façade populiste - mais conduisant inévitablement à l'inefficacité - voici la façade réaliste beaucoup moins glorieuse. Autrement dit, les managers ne peuvent pas remplacer les professionnels (nous en avions parlé hier ici) et plus concrètement un manager ne va pas piloter un avion. Sinon, il s'écrase. Ce qui s'est passé.

Des informations viennent de sortir concernant le deuxième pilote du vol AN 148 qui s'est écrasé à côté de Moscou il y a quelques jours. Sergueï Gambarian est une caricature des pseudo-formations contemporaines: après des études de management et de steward (qui est sa seule réelle formation), il a eu une formation de 10 mois dans un institut privé qui depuis s'est vu retirer sa licence par l'Organisme de l'aviation pour savoir piloter, son diplôme a été confirmé après le nombre réglementaire d'heures de vol et il a été lâché dans les airs. Evidemment, au premier problème technique, ses études de management et sa licence à l'Université d'aviation civile de Saint-Pétersbourg à distance, si si à distance, ne lui ont manifestement pas permis de réagir de manière adéquate, ce qui a pu contribuer au crash de l'avion et la mort de tous les passagers. La Procuratura va finalement examiner de plus près ses diplômes. 

Y a-t-il un pilote dans l'avion? Non, il y a un manager. Amen.

Grâce à la numérisation totale, l'on peut ainsi rendre accessibles les données sensibles et réduire à néant le professionnalisme. Les pilotes-managers formés à distance, les médecins apprenant comment rationaliser leur outil de travail formé par téléconférences; cela nous mène sur la route d'un progrès incontestable. A la tête de l'Etat, les managers obtiendront le même résultat: le crash.

Reste une question, à laquelle je n'arrive toujours pas à trouver de réponse - ou à laquelle j'ai peur de trouver une réponse. Les gens qui soutiennent ces initiatives destructrices, provoquant la mort réelle de dizaines d'individus, en mettant en danger la sécurité de l'Etat, le font-ils consciemment? Autrement dit, veulent-ils ramener le monde à leur dimension quoi qu'il en coûte car ils ne sont pas capables de le penser dans sa complexité ou bien la bêtise est-elle à ce point admise parmi les "réformateurs" qu'ils ne conçoivent même plus les risques de ce qu'ils proposent?

Et c'est loin de ne concerner que la Russie ... Mais la Russie, elle au moins, a encore l'instinct de survie de lancer le débat.

  

4 commentaires:

  1. Manager signifie, là où je travaillais, dirigeant, formateur, ...; suivi du personnel, surveillance (certains disent flicage), poste de plus en plus assuré par des diplômés formés de manière... rentable; quand faute de personnel le manager est obligé de faire le travail lui-même, ce qui est assez rare, il y a en fait une double pression sur lui: le manque de savoir-faire (pour ne pas dire, parfois du savoir adéquat dans telle circonstance), mais en plus, ce qui n'arrange rien, l'obligation de ne pas commettre la moindre imprécision: obligation de perfection absolue, exemplaire; donc manque de la décontraction nécessaire dans un travail potentiellement stressant.
    Malheureusement quand les fautes, même légères, surviennent la direction s'efforce de cacher au mieux. Les formations à l'ancienne (non sur le modèle anglo-saxon) donnaient des dirigeants (et non managers) bien plus solides.
    Propos de vieux?

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    1. Le monde occidental décadent ne va bientôt même plus trouver le personnel de base pour ses métiers. https://fr.sputniknews.com/international/201802221035239594-trump-militaires-usa/

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  2. Les formations au management et plus précisément au business, je les résumerai en 5 mots:
    - acheter pas cher
    - vendre cher.
    Vous me devez 20 000 dollars, le prix de mes 10% de com' qui vous fait économiser 200 000 USD.

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  3. Plus sérieux sur le big data.
    Il consiste en une réduction du réel au connu le paysage à la carte), et du connu au théorique (modèles).
    C'est du kantisme, l'incitation à la recherche n'est plus là. Kant a anéanti la science européenne.

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